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 Juste en face de la mairie, on distingue parfois à travers les rideaux la silhouette menue d’une dame de 84 ans. Si vous avez la chance...

Si vous avez la chance qu’elle égrène pour vous ses souvenirs, vous ne vous lasserez pas de l’écouter.

C’est à deux pas, dans l’élégante maison de la place de la Madone, que Marthe Longuet a passé sa vie d’écolière, chez les sœurs. C’était le temps de la rivalité entre l’école libre et la laïque… Elle en garde des souvenirs studieux. Des problèmes et des dictées, on en faisait… Et on ne nous emmenait pas promener! Sauf pour la Saint Joseph, patron de l’école: la fête c’était d’aller au château de Saint-Privat ou à celui d’Argilliers, à pied bien sûr. Marthe se souvient encore des choux à la crème qu’on leur offrait dans le parc.

Après son certificat d’études, réussi du premier coup, sa maman aurait voulu l’envoyer au collège à Nîmes mais ça ne tentait pas l’adolescente qui a préféré rester à la maison aider ses parents et s’occuper de sa petite sœur.

La boucherie dans laquelle le père de Marthe, Émile Broche, avait succédé à son propre père Laurent, venait d’être déplacée depuis le bâtiment occupé actuellement par la Poste jusqu’à l’endroit de la boucherie actuelle, où se trouvait jusque-là un des trois cafés du village, avec celui des Voûtes et un autre place Neuve. Le travail ne manquait pas entre la rénovation de la maison, la vente, la préparation de la charcuterie et l’abattage au coin de la rue du Moulin à huile (sous contrôle du vétérinaire) des bêtes achetées au marché aux bestiaux de Nîmes. Encore la charrette et les chevaux avaient-ils fait place à une remorque tirée par une voiture – une des toutes premières voitures de Vers, avec celles du boulanger M. Lafont et du maire M. Ode (le grand-père de madame Taulelle). Bonheur d’avoir grâce à cette voiture découvert la mer au Grau du Roi…

Un bœuf ramené de Nîmes chaque semaine, partagé avec un boucher de Remoulins et celui de Saint-Hilaire. Sauf pour Pâques: ce bœuf-là n’était que pour Vers. La veille on pouvait l’admirer rue Grand du Bourg avec un bouquet entre les cornes, attaché à un anneau devant la boucherie.

Le frère de Marthe, Raoul a tenu ensuite la boucherie pendant plus de vingt ans, puis d’autres l’ont reprise à leur tour, heureusement. Pouvoir faire ses courses au village, estime notre amie, c’est quelque chose d’essentiel, il faut tout faire pour conserver ces commerces de proximité.

Parmi lesquels l’épicerie, qui a été sa grande entreprise. Dans les années qui ont suivi la guerre, pendant laquelle elle s’était mariée avec Paul Longuet – un Versois de souche lui aussi, les familles étaient amies -, Marthe a conçu le projet d’ouvrir son propre commerce d’alimentation, en face de celui de Mme Dumas dont le magasin occupait le rez-de-chaussée où se trouve maintenant l’atelier pour enfants animé par Théo. Justement une autre épicière, madame Dussel mettait en vente son fonds rue du Four (l’inscription est toujours visible…) Et Marthe de s’installer en 1950 juste à côté de la boucherie, à la place du salon de coiffure pour hommes de M. Rivarel.

Gros labeur pour aménager ce bâtiment délabré, dont l’ancienne écurie débouchait par un couloir rue Grand du Bourg.Et très vite l’affluence. Il y avait encore les tickets de rationnement, mais bientôt on ne me les a plus vérifiés, et les gens vous savez, ils avaient été tellement privés qu’ils achetaient… On vous demandait un paquet de café le matin, on revenait le soir en prendre un autre, tellement ils avaient peur de manquer! Un gamin avait commencé ainsi sa rédaction pour l’école : «Chez Marthe il y a de tout. »

Puis sa première machine à laver, à la naissance de sa fille. On n’avait pas encore l’eau courante, alors il fallait pomper au puits qui se trouvait dans la boucherie. Et j’allais rincer au lavoir… Quel monde là-bas, surtout le lundi. Il n’y avait parfois pas assez de place!

Et les soirées d’été. On prenait le frais, il y avait des clubs un peu partout. Marthe aimait s’asseoir devant la boulangerie près de Madeleine Lafont, qui lui avait appris à broder. D’autres tricotaient. Et surtout, on parlait…

A combien de changements a assisté Marthe pendant les 40 ans passés dans son épicerie. Merci à elle de les faire revivre pour nous!



Etienne Bovet

 
 
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